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Overclocked : Thérapie de choc… et la manipulation orchestrée
par Reardon  |  17.10.2013  |  Article de fond

Overclocked : Thérapie de choc (2008)

et la manipulation orchestrée

Cet article étant basé sur le contenu scénaristique du jeu, même s’il s’adresse à tous, risque de pénaliser les personnes qui ne l’ont pas encore joué. J’en conseille donc la lecture a posteriori.

Développeur House of Tales - Éditeur Anaconda - Distributeur Micro Application 3ème personne, 3D, PC, Point & Click

Overclocked : Thérapie de choc est le troisième jeu développé par House of Tales sorti en France, le premier étant The Mystery of the Druids (2001) surfant sur la mode des sectes[1] dans le sillage des Chevaliers de Baphomet, et le second The Moment of Silence (2004) sur lequel j’ai écrit un article[2]. 15 Days du même studio est sorti en 2010.

Overclocked après The Moment of Silence semble indiquer que les studios House of Tales s‘en tiennent délibérément et avec bonheur à un thème de référence et de prédilection : la manipulation. Sur un scénario superbement construit, dans une atmosphère passablement glauque, évoluent des personnages consistants qu’ils tiennent les premiers ou seconds rôles. A côté d’un accompagnement musical et sonore aussi plaisant qu’obsédant, ce jeu qui tient cependant beaucoup du film interactif, nous propose un travail excessivement pointu et en tout point remarquable sur le temps, temps qui s’écoule et reconstitution temporelle chez des personnages devenus amnésiques. Cependant les amateurs d’énigmes risquent d’être déçus car il y en a fort peu et de moindre difficulté.

La folie ordinaire

Les personnages ont tous et sans que l’on tombe dans la caricature un caractère bien défini, une histoire, une personnalité, mais tous également à différents degrés ne sont pas parfaitement équilibrés. Cette caractérisation forte influe sur le scénario et sur les relations entre les protagonistes.

L’éminent psychiatre David McNamara, spécialiste de la reconstruction de la mémoire officiant à Washington et dont les techniques pratiques basées sur la psychologie et sur l’hypnose ont fait leurs preuves, est dépêché à New-York, battue par une tempête sans pareille, pour se pencher sur le cas de patients assez particuliers, cinq jeunes gens d’une vingtaine d’années recueillis errants à moitié nus dans les rues, hagards, amnésiques et violents et placés dans le vétuste hôpital de Staten Island.

McNamara qui exerce dans l'US Army est rentré traumatisé de la guerre d’Irak et traîne derrière lui quelques casseroles : il est en proie aux cauchemars et a des accès de violence auxquels il tente de remédier en buvant. Paradoxalement, si son objectif est que ses patients recouvrent la mémoire, lui semble plus que désireux d’oublier certains épisodes troubles de son passé. Son couple bat de l’aile et sa femme Kim souhaite demander le divorce.

Il n’en reste pas moins une sommité dans sa spécialité.

A son arrivée à New-York, il est contacté par l’inspecteur Moretti, chargé de l’enquête et avec lequel il va coopérer. Moretti, flic blasé et usé, lui apprendra en outre qu’une enquête est ouverte sur lui par la NSA à partir de son dossier militaire.

Le Psychiatric Ward de Staten Island, bâtiment austère et vétuste est assurément voué à la démolition. Seule l’aile droite du rez-de-chaussée est encore utilisée. Le personnel soignant quant à lui est réduit au minimum puisqu’il ne comporte que deux personnes : un médecin âgé, de la vieille école, celle de la camisole et des psychotropes, le docteur Young qui ne pardonne à McNamara ni sa jeunesse, ni ses méthodes, ni le fait d’être contraint de lui confier ses patients et fera tout pour l’évincer et une infirmière sans âme, acariâtre et antipathique, Tamara Farebanks.

Dans les cellules se trouvent les 5 jeunes gens dont les noms n‘apparaîtront qu‘à mesure que les souvenirs referont surface : dans la cellule 1, Jonathan, la demi-portion ; dans la cellule 2, une jeune femme brune, Laura ; dans la cellule 3, Ray ; dans la cellule 4, une jeune femme blonde, Victoria ; dans la cellule 5, Cliff.

Incapables de communiquer avec le monde extérieur, David McNamara a recours à l’hypnose pour comprendre ce qui a conduit ces jeunes à cette situation mais pour que cela fonctionne, il a besoin de déclencheurs, objets matériels ou conversations enregistrées qui stimulent leur mémoire. Qu’ont-ils en commun ? D’où sortent-ils ? Pourquoi présentent-ils tous les mêmes symptômes de mutisme et de violence ?

La reconstruction

La méthode de Mc Namara est basée sur la chronologie inversée : partir des souvenirs les plus récents des patients sous hypnose pour remonter jusqu’à l'origine du traumatisme en provoquant des flashbacks, la plupart du temps par l’écoute d’enregistrements de conversations, qui retissent la trame du vécu. Pour ce faire, David Mc Namara dispose d’un PDA, le lien matériel entre son activité professionnelle (magnétophone, dictaphone) et sa vie privée (téléphone portable et boîte mail). C’est aussi par ce biais, en réécoutant chaque entretien, seul ou en présence d‘un patient, que le psychiatre parviendra à reconstruire la chronologie des événements et à comprendre l’origine du traumatisme. Le rôle de la technologie médiatique de communication : PDA, ordinateurs, instruments à double tranchant, est prépondérant dans Overclocked.

Réflexions sur le temps. La monotonie et la répétition

Overclocked : Thérapie de choc est profondément pessimiste. Il semble que tout soit noir, du ciel qui déverse des trombes de pluie aux couloirs délabrés du Psychiatric Ward, des relations intimes de Mc Namara aux eaux démontées de la baie. Tout est glauque, inquiétant, et tout se répète : les journées de Mc Namara se succèdent à l’identique, exception faite de ’la dernière : réveil à l’hôtel, passer deux ou trois coups de fil, prendre le ferry pour se rendre à l’hôpital, faire le tour des chambres à plusieurs reprises pour interroger les patients tout en évitant le docteur et son assistante, rentrer à l’hôtel le soir, passer un ou deux autres coups de fil et ressortir pour aller picoler dans le bar du coin en racontant sa vie, avant d’aller se coucher’[3] tiennent plus du rituel de survie animale que de la vie espérée.

Si le PDA fixe l’instant, déroulant à saturation une situation immuablement inscrite dans le passé, les visages des personnages sont de même figés, leur activité se résumant à des mouvements de lèvres ou à quelque rictus.

Quelle serait donc l’échappatoire ? Probablement pas celle que croyaient avoir trouvé les pensionnaires du Psychiatric Ward.

Il est difficile d’aborder les thèmes développés dans Overclocked sans en dévoiler les ressorts et la chute. C’est la raison pour laquelle la suite de cet article s’adresse à celles et ceux qui ont terminé ce jeu.

La manipulation subliminale

Dans Overclocked, ‘la violence qu'elle soit physique ou psychologique, la première n’étant que la matérialisation de la seconde, constitue une sorte de fil rouge qui accompagne le joueur tout au long de l'aventure : scènes d'agression, insultes ou encore références à des événements du monde réel, le titre réussit à secouer celui qui s'y frotte.’[4]

Cette violence qui est la clé du jeu, est due à une expérimentation scientifique à des fins militaires basée sur l’imagerie subliminale.

Les images subliminales (sous ou en deçà de la conscience) sont perçues par le cerveau mais pas par l‘œil. En d'autres termes, le cerveau enregistre une image que le sujet n'a pas conscience d'avoir vue.

On peut distinguer deux types d’interventions subliminales :
- Le message subliminal écrit
- L'image subliminale.


Message et/ou image peuvent donc être intégrés dans n’importe quelle séquence visuelle (film, publicité, propagande, jeu vidéo…)[5].

Ce concept a été imaginé en 1957 par un publicitaire américain, James Vicary, pour promouvoir la vente de produits alimentaires. Certains réalisateurs de films, de spots publicitaires ou de clips musicaux y ont eu également recours, ainsi que quelques hommes politiques. La puissance manipulatoire supposée de ce type d'images a conduit les législateurs de nombreux pays à en interdire la diffusion comme par exemple dès 1958 aux États-Unis, en Australie et en Angleterre. En France, une recommandation du CSA est adoptée en février 2002.

Cependant si l’impact de cette technique n’est pas contesté, ses conséquences sur le comportement de l’individu, dans l’état actuel des recherches et après expérimentation, n’ont pas l’ampleur qu’on leur attribue.

‘Une séquence projetée contient 24 images par seconde. La vitesse à laquelle le signal visuel s'imprime sur la rétine avant d'être transformé en message nerveux et envoyé vers le cerveau, ne permet pas à ce dernier d’en percevoir consciemment davantage, même si elles lui parviennent et qu‘il les stocke. C’est la mémoire implicite qui est sollicitée, celle qui mobilise des procédures cognitives inconscientes, celle mise en œuvre dans les apprentissages de la marche, de la natation ou de la conduite.

Ahmed Channouf[6] explique ‘qu'un ordre subliminal trop long est trop complexe pour que le cerveau puisse le comprendre en quelques millisecondes. Ce type de message n'aurait donc aucun effet sur le comportement des gens.’Les risques de manipulation comportementale, sans être exclus, restent donc à prouver.

La manipulation politique

Depuis qu’il exerce comme psychiatre pour l’US Army, David McNamara est en proie à de brusques accès de colère. Il est appelé à New York pour collaborer avec la police. Ce qui au demeurant semble être une procédure normale.

Lorsqu’il s’apprête à prendre le ferry qui le mènera à Staten Island, il se retrouve en présence de deux hommes qui ont apparemment la même destination que lui : Miller l’agent de sécurité de l’hôpital et un autre homme en gabardine que Young lui présentera plus tard comme étant Clarke, un représentant de la Dwight Chemicals et qui semble avoir ses entrées dérobées dans l’hôpital.

McNamara mène sa thérapie jusqu’au bout mais son compte bancaire est bloqué et le NSA ouvre une enquête sur lui. Le premier point pourrait être attribuable à ses difficultés personnelles, le second aux crises de violence dont il fait preuve et aux cauchemars qui le hantent au point que les clients de l’hôtel où il séjourne s’en plaignent. Tout peut s’expliquer rationnellement à un esprit préoccupé et passionné par son travail. Evidemment l’implication de Clarke va bien au-delà des apparences, mais en dire plus serait tuer ce jeu.

Conclusion

En s’emparant d’un sujet encore controversé et en mettant encore en cause les arcanes secrètes de l’Etat généralement classées sous l‘étiquette Secret Défense, l‘équipe de House of Tales avec Overclocked : Thérapie de choc comme elle l‘avait fait avec The Moment of Silence, mais peut-être avec un peu moins d’ambition, nous livre quand même une histoire passionnante avec une intrigue inversée, à rebours de la chronologie, inquiétante, dans une atmosphère glauque, contemporaine, oppressante et où la violence réelle n’est pas forcément la plus apparente.

Reardon, octobre 2011

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[3] JPP Keyser - Analyse de Overclocked pour AAC

[4] ALS - Gamekult

[5] http://sante-medecine.commentcamarche.net/contents/memoire/faut-il-avoir-peur-des-images-subliminales

[6] Les Images Subliminales - Une Approche Psychosociale - PUF - 2000

[7] Wikipedia : Message subliminal