PA : Sherlock Holmes ne fut jamais confronté au tueur en série, aucune œuvre de Conan Doyle ne mentionne Jack l'éventreur tout simplement parce que l'auteur ne souhaitait pas accentuer la peur des habitants de Londres, peut-être subissait-il aussi des pressions politiques mais il avait cependant un avis puisqu'il pensait que c'était une femme. Est-ce d'une certaine façon avec ce jeu, vous essayez de rétablir un passé virtuel, à savoir si Conan Doyle n'avait pas été pris dans un contexte émotionnel et politique, il aurait pu écrire ce livre ?

WA : En fait, nous considérons que le personnage de Sherlock Holmes a dépassé son auteur depuis bien longtemps. Le mythe de l’intelligence supérieure et de s’en servir comme une capacité devineresse pour connaître La Vérité via La Logique est un exercice auquel nous nous livrons tous, tous les jours, d’une manière ou d’une autre…. Arthur Conan Doyle a fait le lien entre cette inévitable envie et besoin de l’homme de savoir et une formulation littéraire excellente, il a saupoudré Sherlock Holmes de souffrance et d’égoïsme pour le faire rester à sa place de Détective Consultant (sinon il serait devenu maître du monde).

Sherlock Holmes continue de vivre aujourd’hui sous la plume de nombreux auteurs de pastiches dont certains sont excellents, nous contribuons au mythe et au personnage mais ne nous pouvons pas prétendre se substituer à son créateur. Ceci dit, nous tentons de rester dans l'esprit d'excellence et d'humour du personnage. C’est donc plus notre version de Sherlock Holmes contre Jack l’éventreur que nous proposons, moins celle que Arthur Conan Doyle n’a pas fait pour sans doute les raisons que vous soulignez. Je gage qu’ACD aurait tenté de répondre à cette énigme car elle est avant tout affaire de logique et de psychologie autant que nous le sachions. Enfin si le monde bute sur le mystère de l’identité de Jack L’Éventreur depuis 120 ans, pourquoi ne pas faire un retour en arrière en 1888 et qui mieux que Sherlock Holmes pourrait résoudre ce mystère ?

PA : Jusqu'à présent, on restait dans l'imaginaire avec dernièrement, le très charismatique Arsène Lupin. Cette fois, Jack l'éventreur, un personnage réel et terrifiant. Les joueurs peuvent-ils s'attendre à une nouvelle version imaginée ou au contraire, vous êtes-vous appuyé sur des documents pour essayer de rester au plus proche des événements et de donner une des réponses la plus plausible à ce fait divers réel encore non élucidé à ce jour ?

WA : Tout le challenge de ce jeu est qu’il ne soit pas simplement un jeu, mais bien un retour à Whitechapel en 1888, en faisant découvrir (ou redécouvrir) ce quartier si « particulier » de Londres, si bien décrit de l’intérieur par Jack London, et ce, sous une forme immersive et ludique. Il existe probablement autant d’Holmésiens qu’il existe de Ripperologistes et nous ne pouvons décevoir aucune des deux communautés, nous devions travailler sur les 5 meurtres « canoniques » du Ripper avec les méthodes « canoniques » de Sherlock Holmes. Ces contraintes sont une grande force pour le jeu, et je m’en explique : TOUS les éléments liés aux meurtres dans le jeu existent réellement, TOUS les suspects et témoins sont des suspects et des témoins de 1888, la plupart des documents que vous trouverez dans le jeu sont issus de l’enquête officielle. Ici, il ne s’agit pas de se servir du nom de Jack l’éventreur pour faire un produit supplémentaire, une histoire fantasmatique ou un roman érotico artistique, mais bien pour apporter une autre vision à cette série de meurtres et bien sûr, ce sera au joueur de montrer, d’étayer, en somme de déduire qui était Jack l’éventreur, via des informations existantes.

Les mécaniques de jeu se retrouvent changées car en lieu et place de puzzles, il s’agit bien d’une enquête sur des homicides terribles. Homicides commis dans des conditions particulières avec un sang froid absolu. Il y a donc un vrai travail d’enquêteur pour déterminer un certain nombre d’éléments sur le Ripper, sa taille, son origine sociale, sa latéralité pour ne citer que des exemples simples, mais aussi pour déterminer les mobiles qui sont à la fois évidents et très différents. Pour que le jeu reste un jeu, une partie du scénario du jeu reste fictionnelle, mais ce n’est pas celle des meurtres, c’est celle de la vie dans Whitechapel.

En général, le temps nuit aux enquêtes criminelles : les indices disparaissent, les mémoires s’estompent… Mais dans le cas de Jack L’éventreur, le mythe avait pris le pas sur la réalité depuis longtemps. Le flot de documents, témoignages, a été conservé et le travail des ripperologistes a été de retrouver des éléments, de les soumettre à l’analyse de chacun. Avec le temps qui passe, on a plus de recul, on analyse mieux les éléments, on peut les détacher de leur contexte politique et social de l’époque et je pense pouvoir dire qu’en terminant ce jeu, nous saurons véritablement qui était Jack L’éventreur.

PA : Le jeu sera-t-il à la première personne ou est-ce un retour à la 3ème personne comme certains joueurs le souhaiteraient ?

WA : En fait nous travaillons depuis plusieurs mois à un système permettant de passer de la 2D a la 3D d’un simple clic, à cet effet, nous préparons une version deluxe de « La Nuit des Sacrifiés ». Une première mouture a été testée par des joueurs et nous en avons désormais une autre encore plus « 2D » qui sera soumise au test des joueurs dans les semaines qui viennent. Cette technologie a le mérite de concilier les joueurs qui affectionnent la 1ère ou la 3ème personne, la 2D ou la 3D ou plus sérieusement, pour permettre aux personnes souffrant de nausées dans le mode FPS de profiter de nos jeux. Sherlock Holmes contre Jack l’éventreur est créé en natif sur cette technologie et pour ceux qui le souhaitent, ils pourront vivre l’aventure de 2 manières différentes. Le but est de donner le maximum de liberté au joueur, de manière immersive ou lointaine, dynamique ou plutôt réfléchie et enfin le changement est tel qu’on a l’impression de jouer à un autre jeu.

PA : Quel regard porte la communauté holmésienne internationale sur la saga ' Sherlock Holmes' ?

WA : Cette réponse ne nous appartient évidemment pas, c'est à la communauté holmésienne ou à ses porte-paroles d’y répondre, autant que nous le sachions, les Holmésiens qui jouent sur PC aiment nos jeux.

PA : Avec les jeux 'Sherlock Holmes' êtes-vous reconnu comme faisant partie de ceux qui prolongent l’œuvre de Conan Doyle et la font découvrir ?

WA : C’est ce que j’espère, je ne sais pas, ce n’est pas à nous d’en juger, mais je l’espère en tout cas.

PA: Merci beaucoup Waël Amr pour cet entretien